Sa mère ne lui a rien dit, ni la mère de sa mère.
Elles se voient souvent, la mère et la fille, elles bavardent en français, en arabe, Amel ne comprend pas tout. Elle les entend de sa chambre. Si elle demandait ce qu'elles se disent dans l'autre langue, "la langue du pays" dit Lalla, sa grand-mère lui répondrait, comme chaque fois:
"Des secrets, ma fille, des secrets, ce que tu ne dois pas savoir, ce qui doit être caché, ce que tu apprendras, un jour, quand il le faudra. Ce jour viendra, ne t'inquiète pas, ce jour viendra et il ne sera pas bienheureux pour toi. «Vous parlez en arabe maman et toi, pour que je reste une petite fille qui ne sait pas la langue du pays, la langue de sa mère et de son père? Si tu parles en grec, en grec ancien, naturellement, je saurai tout... Tu me punis parce que je ne connais pas la langue de ton pays ou si mal que tu te moques de moi ?" "Jamais de la vie, ma fille, jamais je ne te punirai parce que tu n'as pas réussi à parler la langue des Ancêtres, tu as essayé, j'ai essayé avec toi, tu n'as pas dit non, mais tu n'as pas parlé l'arabe. Ta mère n'avait pas le temps, comme moi, dans la baraque du bidonville... Tu connais l'anglais, le latin, le grec... Tu es une savante, ma fille, je ne vais pas te punir parce que tu es une savante..." «En Algérie, ici aussi. Tu m'as dit que c'était des années difficiles et si je te pose des questions, tu ne réponds pas." "Plus tard, ma fille, plus tard, pour l'instant je n'ai pas envie. Parlons d'aujourd'hui... " "Tu dis toujours ça, plus tard, plus tard et je sais rien. Tu parles avec maman, tu pourrais me dire tout, et tu ne dis rien, et maman ne dit rien. Tu répètes que je suis savante mais tu te moques, de moi je ne sais rien. Tu parles d'un secret. Quel secret? Il est si affreux qu'il faut tout cacher?" "Tout, non, mais ce qui fait mal, oui."
-Leïla Sebbar
La Seine était rouge, Paris Octobre 1961, Thierry Magnier, 1999, 2003.
Mildred Mortimer (Trad. and Introd.), The Seine was red, Paris, October 1961,
Indiana University Press, 2008.
Que signifie la «langue du pays» pour la grand-mère?